La rémunération des traders (1/3)
Ce billet est le premier d’une série de trois sur la rémunération des traders, il s’agit d’une adaptation d’une note de synthèse que j’ai rédigé sur le sujet.
Depuis 2008, la population française est sensibilisée au fait qu’il existe des métiers liés aux marchés financiers dont la rémunération ne semble pas connaître de limites. L’un de ces métiers est celui de trader, mot qui n’a pourtant pas un sens particulièrement claire dans l’esprit commun. Le trader, c’est souvent « celui qui travaille dans une banque et qui gagne beaucoup d’argent ». 2008 marque un tournant puisque deux affaires de malversations liées aux opérations sur les marchés ont provoqué des crises conséquentes pour les banques qui sont en cause. Il s’agit tout d’abord de « l’affaire Kerviel », qui aurait causé une perte de 4,9 milliards d’euros à la Société Générale. La seconde affaire, de moindre envergure si l’on peut dire, aura coûté au groupement des Caisses d’Epargne environ 700 millions d’euros.
Depuis lors, le trader est devenu la figure emblématique de l’argent facilement et mal gagné dans les marchés financiers. Cette image est même utilisée par le milieu politique[1] comme illustrant un facteur de déséquilibre de notre société.
Qu’est ce qu’un trader ? Comment est-il rémunéré ?
Il semble d’abord indispensable de rappeler ce qu’est un trader, puisqu’en effet le mode de rémunération de ce dernier est très nettement dépendant de la spécificité de son métier. La traduction française de trader est « opérateur financier ». Il s’agit d’une personne dont le métier est de passer des ordres d’achat et de vente d’actifs financiers sur les marchés. En pratique, le trader anticipe des écarts de cours, minimise les risques sur des actifs financiers potentiellement dangereux et retire un profit de ses positions (achat ou vente). En France, les traders sont majoritairement des salariés de « filiales de grandes banques (…) appelées traditionnellement sociétés de bourse ou firmes de brokerage » (De Benchemam, 2008). Le trader est un produit du modèle économique anglo-saxon, au sein duquel les entités se financent sur les marchés. Il faut très nettement distinguer le trader de l’investisseur standard sur les marchés financiers. Ce dernier a, en effet, pour but de tirer ses profits sur les revenus des entreprises dans lesquelles il investit (profit à moyen ou long terme), alors que le trader cherche son profit au sein des fluctuations à court terme du marché. Comme mentionné plus haut, la plupart des traders sont salariés, il existe néanmoins des traders indépendants, non évoqués dans cette note de synthèse puisque leur rémunération est égale au bénéfice de leurs prises de positions.
Maintenant que nous avons défini plus clairement le métier de trader, nous pouvons nous attacher à donner des informations sur leur mode de rémunération et les montants qui sont en jeu dans ce cadre. La plupart des informations disponibles dans la littérature sur ce sujet sont issues des travaux d’Olivier Godechot (2004, 2006, 2007, 2008), François Meunier (2007) et Marie-Geneviève Kirchhof-Masseron (2007). On peux ainsi trouver une très bonne introduction au mode de rémunération des traders dans Godechot, 2008. L’auteur explique ainsi que le contexte très particulier des marchés financiers a fait émerger un mode de rémunération tout aussi spécifique : le bonus. Il s’agit d’une prime salariale donnée sous forme d’un versement annuel d’une somme d’agent dont le montant dépend des pertes et profits (P&L pour Profits and Losses) sur les marchés financiers. Godechot le précise bien, il ne s’agit que très rarement d’un intéressement aux P&L du seul trader, mais plutôt d’une part négocié des P&L du front-office de l’entreprise (c’est-à-dire de la somme des P&L de tous les traders). Ce bonus est donc un pourcentage du profit net de la société de bourse. Ce pourcentage varie selon les lignes de métier (selon Godechot, 2008, il varie de 5% pour la trésorerie jusqu’à 35% pour les dérivés actions). Ce bonus est ensuite ventilé entre les traders, les métiers dits « supports » (contrôle des risques, informatique, etc.) et une provision pour les bonus des années suivantes. Selon Godechot, 2007, il y a une grande inégalité dans cette ventilation, puisqu’en 1998 les traders caracolaient en tête des rémunérations avec une moyenne de 376 000 euros, suivis par les ingénieurs de marchés (217 000 euros), puis les analystes (130 000 euros), puis ensuite (au dessous de 80 000 euros) les autres métiers de la banque. Cette inégalité apparaît de manière plus claire dans Meunier, 2007. Dans cet article, l’auteur exprime les rémunérations en terme d’équivalent MSM (Multiple du Salaire Moyen), un MSM valant (en 2006) autour de 2 500 euros par mois). Meunier explique que les cinq salariés du secteur bancaire les mieux payés en France en 2006 touchait au moins 428 MSM (un salaire supérieur ou égal à celui du sportif le mieux payé, et trois fois supérieur à celui de l’acteur le mieux payé). L’article mentionne également le fait que le salaire moyen d’un trader sur le marché des dérivés est de 36 MSM, tandis qu’un vendeur sur le même marché touche 26 MSM et qu’un gérant senior touche 13 MSM. Nous allons voir dans un billet suivant que cette inégalité est intrinsèquement liée à l’origine de ce type de modèle de rémunération.
[1] « Je suis plus choqué par le système de rémunération de ceux qu’on appelle les traders, que les présidents de banques. C’est ce système-là que je veux changer », a déclaré le Président Sarkozy. Interview télévisée du 05/02/2009.