Cousins d’amérique…

février, 26, 2010
Sylvain

Aujourd’hui je ne vais pas vous parler des habitants de l’amérique du nord, qui même si ils sont parfois des cousins au sens littéral du terme, ne sont pas « mes » cousins d’amérique. Non, je vais aujourd’hui vous parler des habitants de l’amérique du nord (argh, j’ai dit que non) qui sont récemment émigrés sur place, et qui de surcroit ont l’honneur et la chance de servir la science (et c’est leur joie). Bref, vous l’avez compris, aujourd’hui je vous parle de ces collègues et parfois amis qui ont fait le choix de fuir avec leur cerveau vers des cieux supposés plus cléments.

Ces cousins d’amérique, j’en connais personnellement pas mal, et ils ont tous des profils et des motivations différentes pour partir. Certains ont choisis de ne pas revenir, certains au contraire sont revenus, d’autres voudraient bien repartir. Mais au final, est ce un mouvement vraiment global, et quelles sont les raisons qui poussent au départ (et au retour), et surtout ces raisons sont-elles justifiées ? Tout ce que je vais raconter ici est bien sur ma vision de la chose, alors que je ne suis pas parti en séjour long à l’étranger (j’ai fait des séjours de 1 semaine à 1 mois, jamais plus).

Selon une étude récente de deux étudiants de l’école des mines, seuls 4 % des Français diplômés de l’enseignement supérieur sont expatriés. Il paraitrait que la France est le pays d’Europe avec le plus bas taux d’expatriation, et ce depuis 1990. Cependant,  cette première statistique me laisse froid, car elle n’est pas attachée aux chercheurs, mais à tous les diplômés du supérieur (y compris le cadre dynamique lambda, qui pour d’évidentes raisons n’est pas expatrié – évidente car il ne possède que rarement une compétence unique qui le rend indispensable aux autres pays). On estime ainsi qu’il y a autour de 2000 à 2500 postdoctorants en poste aux USA qui ont fait leur thèse en France, et environ 500 Français qui y font leur thèse. Selon les mêmes études, environ 80% de ces gens reviennent en France, et une minorité d’entre eux obtiendra un poste (10% des doctorants sont recrutés dans le secteur publique de l’enseignement supérieur et de la recherche, c’est probablement un peu plus pour ceux qui sont partis en mobilité internationale).

Ce dernier fait est d’autant plus troublant que les doctorants sont littéralement jetés à l’étranger avec un discours qui leur assène que l’obtention d’un poste est assujetti au fait d’avoir été mobile (comprendre avoir fait un séjour d’au moins 1 an à l’étranger). Mais pendant ce séjour, il y a un véritable risque : le pays accueillant, si il a une politique de recrutement bien faite, va réussir à garder les meilleurs chez lui, et va renvoyer les autres (attention, je ne dis pas que ceux qui reviennent sont mauvais, je dis que le pays d’accueil fera tout pour garder ceux qui sont clairement au dessus du lot, et la France n’est toujours pas suffisamment armée pour gagner ce type de compétition). Et c’est là que le discours politique est à coté de la plaque lorsqu’il nous assène qu’avec les systèmes de chaires (par exemple) on fait revenir plus de monde, car la recherche n’est pas un domaine que l’on évalue « au poids ». 10 chercheurs ne produisent pas des résultats 10 fois meilleurs que un seul chercheur, mais juste 10 fois plus (enfin c’est un peu plus complexe que ça, mais ca y ressemble, on va dire 2 fois meilleurs mais 5 fois plus seulement, et c’est pour l’image, car c’est tout aussi faux). D’ailleurs, la notion même de « meilleur » n’a pas vraiment de sens, mais c’est un autre débat.

On voit donc que le mouvement de fuite des cerveaux est plutôt marginal en quantité, mais probablement plus grave d’un point de vue qualitatif. Il y a probablement de très nombreuses explications à cela, la principale étant pour moi qu’à 25/26 ans (age de fin de la thèse en informatique lorsque l’on a fait un parcours scolaire puis universitaire « sans fautes ») il est déja devenu difficile de partir loin (famille, amis, situation matérielle, etc.), d’autant plus que la barrière de la langue n’est pas un mythe pour les français que nous sommes. Cependant il reste aisée de partir quelques mois, et nombreux sont ceux qui mettent le reste entre parenthèse pour cela, et à un moment de grande productivité (et oui, quand on cherche un poste, on muscle son CV, donc on travaille beaucoup plus).
Voyons maintenant les pros and cons du départ vers l’eldorado supposé, et ceux du retour vers la mère patrie.

Partir un jour ? sans retour ?

Quelles sont les motivations qui peuvent pousser au départ ? j’en ai recensé quelques unes…

1. Il y a une pression réelle pour partir lorsque l’on souhaite une carrière scientifique en France. Et oui, c’est le premier paradoxe, la France adopte la même stratégie que les pays en voie de développement, ce qui paraît tout à fait incroyable. En effet, la France a une mécanique de fabrication d’élite intellectuelle très rodée, et pousse pourtant le vice jusqu’à faire partir ceux dont la formation a couté le plus chère. Ainsi le CNRS et l’INRIA annonce de manière plus ou moins explicite que sans séjours à l’étranger il devient très difficile d’obtenir un poste. Et le critère commence à faire son apparition à l’Université, notamment avec la création des fameuses chaires.

2. Le salaire est meilleur à l’étranger. En fait cette motivation n’est pas super claire car c’est rarement l’élément avancé par les partants. Par contre une fois qu’ils sont sur place, la plupart sont très satisfaits de ce qu’ils peuvent toucher (attention, je parle de l’informatique, je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres disciplines, on m’a notamment dit qu’en biologie ou chimie ce n’est pas si simple). En revanche, l’aspect financier n’est jamais un frein au départ.

3. Le dynamisme supposé (notamment aux USA). de très nombreux candidats au départ ont une vision très floue de ce qui se passe à l’étranger (et nos élus aussi, car quand on entend par exemple notre président, on se dit qu’il faudrait qu’il se renseigne un peu sur la réalité de la recherche à l’étranger). Et il est rapidement facile de se dire que l’herbe est plus verte dans le pré voisin.

Au final, je dirais qu’aucune de ces raisons n’est une bonne raison. Je comprends cependant facilement ceux qui veulent changer de vie en allant voir ailleurs comment c’est, sans s’attendre à rien de particulier, surtout si c’est pour fuir une situation de la recherche en France qui devient de moins en moins vivable. Mais une fois parti, faut-il revenir ? parlons du cas particulier des USA…

Revenir, mais pourquoi ?

Évacuons de suite les deux bonnes raisons de revenir. La première est bien sur celle de la famille et du mal du pays. Même dans un pays comme les Etats-Unis (ou surtout là-bas ?) la culture est totalement différente de la culture française: art, codes de comportement, mode de vie, conduite, nourriture, tout contribue à rappeler les différences, et pour certains ce n’est pas supportable, surtout quand on est éloigné de ses proches. La deuxième bonne raison est à mon avis celle de la possibilité d’obtenir un poste permanent, c’est à dire une tenure, mais sans le tenure track. Et là ce n’est que mon avis puisque de la bouche même de certains « revenants », c’est un argument auquel on ne pense même pas lorsque l’on revient. Il existe selon mes sources une troisième raison, que je n’avais pas entrevu, qui est celle de la qualité scientifique proprement dite. Visiblement dans certains domaines, notre rigueur scientifique serait supérieure. cela me fait plaisir de le croire, donc je mentionne aussi cette raison.
y a t-il d’autres bonnes raisons ? je ne crois pas ! Voyons pourquoi au travers des avantages comparés entre le système anglo-saxon et le système à la française.

1. Si on a le choix de ne pas revenir, c’est qu’on a obtenu un poste aux USA, c’est donc qu’on a un fort potentiel et qu’on sera soutenu par son département scientifique d’adoption, avec généralement un très bon package (salaire+sécu). Pourquoi revenir en France pour des cacahuètes et un soutien modéré de la part de la communauté. Car c’est bien là la première différence, en France les enseignants-chercheurs sont recrutés sur des critères dépersonnalisés, donnant l’idée de l’interchangeabilité complète , tandis qu’à l’étranger on recrute une personne choisie, et si l’on ne l’a pas on peut ne pas recruter.

2. A ceci est associé une culture du risque très capitaliste, il est aisé d’obtenir des petits financements. Pour donner une idée, en France même les petits appels à projets nécessitent des dossiers importants et des rapports à n’en plus finir. Je ne donnerais pas de noms, mais un ami qui était aux USA m’a raconté que pour obtenir une grant de 345 000 dollars, il n’avait eu que 4 pages à rédiger, sur les aspects prospectifs de ses travaux. En revanche, la culture RH est très marxiste, la valeur du capital humain est reconnue comme il se doit, et celui qui travaille dur est bien payé (là bas, le bosser plus pour gagner plus n’est pas un voeu pieux). Par ailleurs il y a une vrai reconnaissance du travail effectué, pas comme chez nous où celui qui n’a pas la fibre mégalo risque une usure rapide de son enthousiasme (je vous rassure, je suis totalement mégalo).

3. Respect du travail d’autrui. Effet de bord du positivisme forcené américain, il n’y a pas d’ingérence et de moqueries sur le travail d’autrui, du moment qu’il est bien fait. Et cela englobe aussi une absence totale de mépris pour le personnel administratif et technique.

4. Absence relative de mandarinat. C’est un point plus délicat. La structure des équipes de recherche est fondamentalement mandarinale aux USA, avec un chef et une équipe qui lui est associée. Mais passé cet aspect, il y a moins de barrières mandarinales (c’est-à-dire ce travers que nous avons de privilégier l’ancienneté sur le talent et les résultats, mais aussi de faire du népotisme).

5. Enfin, dernier point, qui rejoint le commentaire sur la lourdeur d’obtention de fonds chez nous, avec les appels ANR ou autres qui demandent beaucoup d’energie. L’aspect hierarchique n’a pas la même vocation que chez nous. Pour nous, la hierarchie sert avant tout à contrôler. Aux USA, elle sert avant tout à fluidifier la circulation de l’information (structure arborescente vs all-to-all). Les décisions sont prises non pas en haut de l’arbre, mais au niveau compétent, le chef ne servant qu’en cas de non consensus, et son rôle est alors de prendre une décision.

Je dirais donc qu’au final, si on est parti, et qu’on a la possibilité de rester, et qu’on a pas de raison familiale de revenir, alors il ne faut pas revenir. D’un point de vue personnel cela semble mieux, la science n’y perdra pas, et donc tout le monde y gagne.

A la lecture de ce post, vous pourriez me dire « sylvain, espère d’aigri, tu n’as qu’à partir si tu n’es pas content », ce à quoi je réponds que je n’ai pas envie de partir, on ne m’a pas offert un pont d’or pour partir, j’ai une famille ici, et j’aime ma vie en France (au final je serais un patriote qui s’ignore ?). Cela n’empêche pas d’avoir un regard critique sur notre secteur, qui mériterait bien mieux que les coups de baton aléatoires qu’il se prend (et les carottes médiocres qu’on lui offre, qui ne vont pas toujours au bon endroit, si je peux me permettre un grand manque de finesse).

Pour se déchainer, les commentaires sont là !

Picture: courtesy of Abby Blank